Jeanne Moreau : On ne sait pas très bien qui on est. La personnalité d'un être humain est la chose la plus mystérieuse au monde. Cette recherche dans les abysses. Plus on dit des choses sur soi, justes, vraies, plus le mystère s'épaissit

Jeanne Moreau : Mata Hari, agent H 21 - Jean-Louis Richard 1964

Jeanne Moreau : Margaretha Geertruida « Grietje » Zelle, dite « Mata Hari »
Mata Hari, agent H 21 | Jean-Louis Richard, 1964
Scénario : Jean-Louis Richard, François Truffaut

- Jeanne Moreau : "Quoi qu'on en dise et quoi qu'on fasse, la personnalité d'un être humain est la chose la plus mystérieuse au monde. Même chose avec ces actes de violence inexpliqués. C'est l'histoire de ce garçon déprimé, qui achète un fusil et qui, parce qu'il doit présenter sa carte d'identité, le sort de son emballage et tire sur quelqu'un qu'il ne connaît pas... Alors on dit qu'il était dépressif. On classe, on règle. Il y a des désordres intérieurs qu'on ne peut pas simplifier sans passer à côté. Je choisis des cas extrêmes, mais c'est vrai. (...)

On veut toujours tout expliquer et l'incompréhension grandit entre les individus. Il y a une dichotomie absolue. (...)

Ce n'est pas parce qu'on fréquente des gens qu'on les connait. Qu'est-ce que ça veut dire ? Regardez les mères des criminels : "C'est un enfant adorable", ben oui, c'est un enfant adorable, n'empêche que c'est un serial killer. (...)

On croit savoir. Je suis tombée sur une phrase qui est terrifiante, mais qui me plaît : plus on dit des choses sur soi, justes, vraies, plus le mystère s'épaissit. (...) Le privilège de l'âge et de cette spécialisation qui est la mienne, c'est d'aller à la découverte. (...)

Cette recherche dans les abysses. Face à certaines personnes, ce n'est pas que je devine, mais je vois tout de suite le masque, (...) ce qu'il y a derrière le masque. (...) S'intéresser aux lapsus, ainsi qu'aux lapsus gestuels, aux actes manqués, c'est ça, pour moi, être actrice."

- Selon vous, pour une comédienne, le plus important est-il de savoir dire non ?

- "ça dépend des moments. Parfois, de jeunes comédiennes disent : "Non, je ne peux pas faire ça." Mais il y a des périodes où il faut dire oui à tout, il faut découvrir, il faut aller à l'aventure, il faut voir, savoir, se mettre à l'épreuve. Puis arrive un moment où l'on a une intuition très profonde - mais il faut être arrivé à un point où l'on peut vivre avec soi-même sans avoir ce besoin éperdu d'être entourée, de savoir qu'on vous filme, qu'on joue. On ne perd jamais son temps, qu'on soit sous le regard des autres ou qu'on ne le soit pas : à partir du moment où on le sait, on ne dit pas oui à tout. (...)

On ne sait pas très bien qui on est, il faut attendre un sacré bout de temps. C'est un savoir indéfinissable. Ce ne sont pas deux vies parallèles ou séparées, c'est un tout, c'est une continuité."

Jeanne Moreau, L'éternité pliée,

quelques extraits d'un long entretien avec Charles Tesson, réalisé en trois fois, les 6 et 13 décembre 2001, et le 13 juin 2002, entretien intégral à lire dans les Cahiers du cinéma n°570, juillet/août 2002, pages 49-61.

 

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