Ariane Labed : Se reposer des questions sur les structures narratives. Le cinéma peut tout se permettre, tout inventer, c'est des gens qui le savent (ceux avec qui j'aime travailler), et qui créent des nouvelles formes

Ariane Labed | Festival de Cannes | The Lobster, Yorgos Lanthimos, 2015

*

"Je crois que le cinéma peut tout se permettre, il peut tout inventer, et c'est des gens qui le savent (ceux avec qui j'aime travailler), et qui s'en servent, et qui créent des nouvelles formes. Moi c'est la raison pour laquelle je fais du cinéma. C'est un des arts les plus jeunes qui soit, et qui peut intégrer toutes les formes d'expression, il me semble... Après on se limite à se dire que c'est juste là pour refléter une réalité, moi je pense que ça peut être beaucoup plus que ça, le cinéma... ça peut offrir un milliard de langages et un milliard de formes possibles, il n'y a absolument rien d'inscrit. Je pense qu'on peut tout se permettre et qu'on peut tout chercher. Et moi, en tant qu'actrice, j'ai ce passé-là de danseuse, et c'est quelque chose que j'aimerais pouvoir aussi vivre et traverser à travers le cinéma... (...) J'aimerais bien garder une logique de danseur plutôt que d'acteur, dans mon travail d'actrice... parce que je ne travaille pas de façon psychologique, mais je fais tout passer en priorité par le corps. (...) De temps en temps il y a toujours comme ça un corps qui explose ... Un moment où les corps sortent d'eux-mêmes (...)".

Ariane Labed, de la danse au cinéma,

extraits d'un entretien vidéo d'Ariane Labed avec Ludovic Denizot, octobre 2015, Univers Ciné

*

"Quand j’ai commencé mes études de théâtre, j’étais intéressée davantage par la mise en scène. (...) Raconter une histoire, oui ; mais aussi créer des objets. Donc je ne suis pas certaine de passer par le cinéma classique, peut être que ce sera des trucs plus expérimentaux, plus près de la performance…

J’ai plus envie de travailler sur une forme d’écriture cinématographique ou visuelle que juste raconter des histoires. Ca semble peut-être abstrait. Comme on a pu le faire avec ma compagnie de théâtre, c’est chercher des langages qui ne sont pas préétablis… Je crois que le cinéma en a besoin. C’est un art encore très très sage, on ne devrait pas alors qu’il est si jeune. J’aimerais bien travailler dans cette direction, même si ça semble très vague encore une fois. J’aimerais bien qu’on puisse se reposer des questions sur les structures narratives du cinéma. Ce sont des questionnements que j’ai.

J’adore les gens qui cherchent. Je viens de travailler avec Philippe Grandrieux qui est vraiment à la frontière entre plusieurs arts, je trouve ça fascinant. La première réalisatrice avec qui j’ai travaillé, c’est pareil. Ce sont des gens avec qui je m’entends souvent vite très bien. Je sens les projets beaucoup plus excitants. Un film comme Fidelio, qui est d’une forme beaucoup plus classique, c’est aussi très grisant car c’est le personnage qui décale une histoire, mais la forme elle-même est plutôt classique.

Pour une actrice, c’est super : ces personnages sont des cadeaux. Ca nous emmène dans des endroits improbables. Ce sont des cadeaux de vie aussi. Se retrouver deux mois sur un bateau les mains dans le cambouis, c’est génial comme expérience. J’ai la chance de pouvoir gouter à la vie de quelqu’un d’autre pendant deux mois.

Je peux tomber amoureuse de ça, comme je peux tomber amoureuse de quelqu’un qui me dit : « viens, on va faire une histoire, je ne sais pas à quoi ça va ressembler. On écrira en le faisant… ». J’aime les gens qui sont habités par une proposition nouvelle. Généralement, j’essaye de faire des films comme ça."

Ariane Labed,

Propos recueillis par Brigitte Baronnet, à Paris, le 19 novembre 2014
- extraits - Entretien complet à lire sur Allociné

*

Qu’est ce que tu attends d’un réalisateur quand tu es sur le plateau ?

Ariane Labed : "Ce n’est pas tant pendant le tournage, c’est ce qui peut se passer avant… Je ne sais pas. Pendant une prise, je me sens tellement lâchée dans le vide, que si je n’ai pas ce rapport, ce regard bienveillant, et cette personne en qui je fais confiance absolument, je ne peux pas fonctionner. Sur un tournage je ne peux écouter personne d’autre que le réalisateur. Il y a toujours quelqu’un qui va venir te donner des conseils, te faire une réflexion, et j’ai horreur de ça. Je suis peut-être un peu absolue là-dedans, et je crois que ça vient de la danse classique, ce rapport au maître. Moi, c’est ce que j’attends d’un réalisateur. Qu’il prenne cette position-là et que je puisse lui faire absolument confiance. Et ça n’a rien à voir avec du charisme, ni avec de la tchatche. Tu le sens, même quand un réalisateur ne sait pas où il va, mais qu’il y va juste par intuition. J’aime savoir que je peux le suivre les yeux fermés. (...)

Mais ma façon d’aborder les rôles est beaucoup plus intuitive que psychologique, au théâtre comme au cinéma. Je n’ai jamais utilisé ou travaillé de méthode, comme la méthode de l’Actors’ Studio. C’est quelque chose qui m’est complètement étranger. Peut-être que c’est génial mais je ne m’y intéresse pas du tout, parce que j’ai un rapport physique au rôle. Et de façon générale, quand on a lu un scénario et que le rôle – qu’on sache ou non pourquoi – fait écho quelque part en nous, c’est le signe que quelque chose va éclore tout seul. Ça veut dire qu’on a une base en nous. N’importe qui, il y a pas besoin de talent pour ça. On peut lire un texte et être touché, et après ça peut devenir – cette chose qui s’est éveillée – une matière et un personnage, si on s’en sort bien. C’est assez abstrait ce que je dis, finalement c’est un truc assez intuitif. (...)

C’est quelque chose que je voudrais garder et suivre : construire des choses intérieures et ne pas les autoriser à sortir. J’aimerais bien continuer à travailler comme ça. J’exprime à travers du non-dit. L’expressivité passe par quelque chose d’intérieur, qui s’échappe par des détails, par un regard ou par une respiration, quelque chose qui ne serait pas explicatif. Et je préfère largement ce mode de jeu-là à des modes de jeu qui s’expliquent, qui expliquent eux-mêmes ce qu’ils sont en train de jouer ou de vivre ou de dire. Pour moi, c’est juste une charge émotive ou sensible que j’empêche de sortir. J’ai réalisé aussi que, avec Attenberg et Alps, j’ai travaillé avec des gens -c’est une chose que j’aime beaucoup- qui filment beaucoup l’écoute. Ils filment peut-être plus la personne qui écoute que la personne qui parle. Je pense que c’est aussi comme ça que ça apparaît."

Ariane Labed - Le Grand Entretien, 2013 - Sortie d'Usine

*

"Ariane vient de la danse, elle n’a pas besoin de la psychologie du personnage pour avancer, tout doit être traversé par son corps, ça passe par la fatigue réelle".

Philippe Grandrieux

*

"J’avais vu Ariane Labed dans Attenberg plus d’un an auparavant et je pensais à elle comme une possible Alice. Lorsqu’elle est descendue en bleu de travail dans les machines d’un bateau pour les essais, j’avais la caméra en main et c’est devenu évident : j’avais envie de la filmer, comme on peut avoir envie de peindre un portrait. Il y avait mon désir, et il y avait son mystère, son talent, son corps longiligne et son regard profond, sa voix, et ses épaules qui avaient la carrure de la femme marin que j’imaginais, féminine et sensuelle, exerçant sans forcer un métier viril dans un univers masculin".

Lucie Borleteau

*

Grazia : L'artiste qui a tout compris de vous ?

Ariane Labed : "Je n'ai rien compris de moi, alors je ne reconnais ça chez aucun artiste. Mais le cinéaste qui me touche très intimement, c'est Robert Bresson".

Grazia : Le film qui raconte votre vie ?

Ariane Labed : "Au hasard Balthazar de Bresson. Il ne raconte pas ma vie, mais il est au plus près de notre nature humaine. C'est mon film préféré".

Interview express d'Ariane Labed à lire en intégralité sur Grazia.fr

***

CAHIERS DU CINEMA

Vous n'avez pas tourné depuis quelques années, trouvez-vous que le cinéma a changé ?

ROBERT BRESSON

Il devrait évoluer. Il piétine sur place.

CAHIERS DU CINEMA

Mais pourtant tout le monde fait du cinéma.

ROBERT BRESSON

Le cinéma brille. Mais le public ne pourra pas toujours aller au cinéma pour voir la réussite d'un acteur ou entendre la modulation d'une voix. Quelqu'un me disait : "Au cinéma on a tout fait". Le cinéma est immense. On n'a rien fait.

Entretien avec Robert Bresson,
Cahiers du cinéma n°348-349, juin-juillet 1983, page 14

***

Photos :

Ariane Labed : Gymnast / Alps / Yorgos Lanthimos, 2011

Ariane Labed : Marina / Attenberg / Athina Rachel Tsangari, 2010

Ariane Labed : la bonne / the Maid / The Lobster / Yorgos Lanthimos, 2015

Ariane Labed : Alice / Fidelio, l'odyssée d'Alice / Lucie Borleteau, 2014

Ariane Labed : Hélène / Malgré la nuit / Despite the Night / Philippe Grandrieux, 2015

*