Kristen Stewart, Personal Shopper : Le film pose la question la plus terrifiante dans la vie, selon moi : est-ce que je suis complètement seule ou est-ce que je peux entrer en contact avec quelqu’un ?

Kristen Stewart : Maureen | Personal Shopper | Olivier Assayas, 2016

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Kristen STEWART : "Le film pose aussi la question qui est vraiment la plus terrifiante dans la vie, selon moi : « est-ce que je suis complètement seule ou est-ce que je peux entrer en contact avec quelqu’un ? »"

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Pensiez-vous que vous alliez tourner de nouveau sous la direction de Olivier Assayas aussi vite, seulement deux ans après Sils Maria ?

Kristen STEWART : Non. Mais je savais qu’il aimait travailler avec les mêmes personnes, acteurs et techniciens, donc je l’espérais au fond de moi-même. Nous nous étions très bien entendus sur le tournage de Sils Maria et je pensais qu’un jour ou l’autre nous allions nous retrouver autour d’un projet artistique. Mais je ne me doutais pas que ça allait arriver aussi tôt. Je suis très amie avec le producteur d’Olivier, Charles Gillibert. C’est lui qui m’a appris que Olivier travaillait déjà sur un nouveau scénario. Je crois que nous étions à Cannes, pour la présentation de Sils Maria. Franchement, c’était la première fois que je rencontrais des gens aussi soudés, formant une véritable équipe. Je n’avais pas envie de les quitter. On s’était trouvés. Je me sens très chanceuse. Donc lorsque Olivier m’a proposé le projet de Personal Shopper, j’avoue que j’étais excitée mais pas surprise. On avait envie de poursuivre une expérience commune.

On a le sentiment que Olivier Assayas a trouvé en vous non seulement l’actrice mais aussi la personne idéale pour incarner la jeune femme moderne qu’il voulait mettre en scène dans ses films. Pourriez-vous dire la même chose de lui ? Qu’il est le cinéaste que vous recherchiez ?

Kristen STEWART : Oui à 100%. Nous avons travaillé tous les deux avec beaucoup de gens. Mais il existe entre nous une forme de communication non verbale qui est parfaite pour le métier que nous exerçons. Nous ne parlons pas beaucoup mais nous nous comprenons et partageons les mêmes centres d’intérêt, la même curiosité. C’est très amusant de travailler avec lui.

Comment Olivier Assayas vous a-t-il présenté le projet de Personal Shopper ?

Kristen STEWART : Il m’a dit qu’il écrivait un scénario, très simple, qu’il l’écrivait pour moi en espérant que ça me plaise. Quand j’ai reçu le scénario, j’ai vraiment flippé car je m’imaginais mal téléphoner à Charles ou à Olivier en leur disant que ça n’était pas mon truc ! Heureusement, il n’en a rien été. Dès que je l’ai lu j’ai été très impressionnée. C’était si différent de Sils Maria. Et surtout, moi qui avais l’impression de connaître Olivier, je n’arrivais pas à comprendre comment cette histoire avait pu surgir de son imagination. Cela m’a ouvert les yeux sur des aspects plus secrets de sa personnalité. C’est un film très méditatif. Dans Personal Shopper Olivier parvient à évoquer des mondes invisibles à sa manière, sans avoir à les nommer. Je crois que c’est un film plus personnel que Sils Maria. Ce n’est pas un film analytique, c’est un film sensualiste, profondément humain. Olivier est un cinéaste cérébral qui est parvenu avec ce film à exprimer des émotions très intimes. C’était vraiment cool. Je n’avais pas ressenti ça de sa part sur Sils Maria.

Personal Shopper aborde des thèmes peu communs dans le cinéma français, comme les fantômes ou le spiritisme, tout en se distinguant des thrillers surnaturels américains.

Kristen STEWART : Oui. Dans Sils Maria il y a cette conversation sur le cinéma, entre le personnage de Maria interprété par Juliette Binoche et mon personnage, Valentine. Elles sont en désaccord sur le film qu’elles viennent de voir, une aventure de mutants dans l’espace. Valentine pense qu’il y a autant de vérité dans les films fantastiques ou de science-fiction que dans beaucoup de films apparemment plus sérieux. Ces films emploient des symboles, des métaphores, cela ne les rend pas plus superficiels. A la fin ils parlent des mêmes choses, réfléchissent sur les mêmes sujets que des films ouvertement psychologiques. C’est amusant de se dire que c’est à partir de ce dialogue de Sils Maria que Olivier a conçu son film suivant, littéralement. Personal Shopper est aussi un film de genre, ce qui le différencie de la plupart des films d’auteur français. Un film de genre qui ne cherche pas à nous faire peur avec des fantômes mais propose une réflexion sur ce qu’est la réalité. Le film pose aussi la question qui est vraiment la plus terrifiante dans la vie, selon moi : « est-ce que je suis complètement seule ou est-ce que je peux entrer en contact avec quelqu’un ? »

Qu’est-ce qui a été le plus difficile sur le tournage de Personal Shopper ?

Kristen STEWART : J’interprète une jeune femme très solitaire, totalement isolée, et triste. C’était assez épuisant d’être dans la peau d’un tel personnage. Même quand je partage une scène avec d’autres acteurs, je n’arrive pas à être réellement avec eux. C’est comme s’ils étaient des fantômes. Je ne me considère pas comme une personne finie. Il ne peut y avoir la moindre interaction entre eux et moi car je n’ai même pas la sensation d’exister. Cela m’a plongé dans un état douloureux. Heureusement que j’étais entourée de gens que j’aime et que je ne me suis jamais sentie seule. J’ai eu beaucoup de chance. S’il n’y avait pas eu une atmosphère aussi positive et amicale sur le plateau, j’aurai été dévastée, je me serais effondrée par terre. Dans le film je n’arrête pas de bouger, de me déplacer, je suis en mouvement perpétuel. J’ai perdu beaucoup de poids durant le tournage. C’était épuisant.

Maureen méprise sa condition de « personal shopper » et la femme riche et célèbre qui l’emploie mais elle ne peut s’empêcher de se glisser dans ses vêtements, de transgresser les interdits, d’en éprouver du plaisir.

Kristen STEWART : Maureen est fascinée par ce qu’elle déteste. Elle traverse une crise d’identité. J’ai aimé le fait qu’elle ne soit pas présentée comme une féministe critiquant la superficialité de la société de consommation. Elle vit une lutte intérieure. Elle est très attirée par le monde dans lequel elle évolue, mais elle éprouve de la honte devant cette attirance. Je peux partager ce sentiment, nous le partageons tous à un certain degré. C’est une histoire qui se déroule aujourd’hui, dans le milieu de la mode, mais elle aurait pu se passer dans les années 30, à Hollywood. Je ne sais pas si c’était pire ou mieux avant. Les gens ont toujours été attirés par ce qui brille, comme des petits papillons.

Personal Shopper traite du deuil, mais c’est aussi l’histoire de l’émancipation d’une jeune femme, qui cherche à se libérer en empruntant un bien étrange chemin.

Kristen STEWART : Oui. Les périodes les plus lumineuses de ma vie ont toujours été précédées par des drames. Les moments de sérénité, de plénitude surviennent après des événements traumatiques. Vous vous sentez plus vivant si vous avez frôlé la mort. A la fin du film, même si elle n’a pas trouvé ce qu’elle cherchait, Maureen parvient à se reconstruire.

Comment vous êtes-vous préparée pour interpréter Maureen ? Attachez-vous beaucoup d’importance à l’apparence physique de vos personnages ?

Kristen STEWART : Absolument. Je voulais que l’on ressente que Maureen est une jumelle, à la recherche d’une complémentarité perdue avec son frère mort. Je l’ai donc imaginé avec un look très simple, presque androgyne. Son apparence reflète aussi son rapport amour / haine avec le monde de la mode. Le choix des vêtements fut donc très important. En ce qui concerne la préparation du film, je ne lis le scénario qu’une fois, et je refuse de le relire car je veux découvrir les scènes chaque nouveau jour du tournage. Je n’ai rien eu de particulier à apprendre pour ce film. Olivier voulait le tourner plus tôt dans l’année pour me permettre d’enchaîner avec le film de Woody Allen où j’interprète une jeune femme charmante, féminine, joyeuse. Je me suis sentie incapable de faire les deux films dans cet ordre, car je savais ce que j’allais vivre sur Personal Shopper, que je serai ravagée et pas jolie à voir à la fin du tournage ! Je ne me suis pas vraiment préparée, mais je savais où aller chercher ce dont j’avais besoin. Je savais où était la gâchette, je n’avais plus qu’à appuyer dessus. J’étais prête à le faire pour le film.

Vous tourniez dans les rues de Paris avec l’équipe de Personal Shopper 48 heures avant les attaques du 13 novembre. Il est difficile de ne pas y penser en voyant le film, qui porte en lui une tension et une inquiétude particulières à notre époque.

Kristen STEWART : Quand je vois le film, je me dis que nous sommes tous dans notre propre monde, totalement absorbés par des choses qui ne concernent que nous. Maureen est tellement dévorée par ses obsessions qu’elle ne prête quasiment aucune attention aux gens et aux choses autour d’elle. Elle ne se trouve pas vraiment à Paris, ni nulle part ailleurs. J’éprouve une souffrance à voir le film, qui montre un personnage qui évolue dans une ville bientôt meurtrie, Paris, sans en éprouver le moindre plaisir. C’est vraiment douloureux, poignant. Je n’ai pas envie de prononcer ces mots, mais on a eu de la chance. Le lendemain du 13 novembre, nous avons dû démarrer une journée de tournage et c’était presque impossible de travailler. Tout paraissait tellement faux, faire un film dans un studio…

Avant vos deux films avec Olivier Assayas, quelle était votre relation avec le cinéma français ?

Kristen STEWART : J’avais vu quelques titres essentiels, comme À bout de souffle et Jules et Jim. Charles, Olivier et toute l’équipe m’ont ouvert les yeux sur un nouveau monde de projections de films et de cinéphilie. J’ai découvert plein de films français en DVD. C’est une expérience unique pour une actrice américaine, de se retrouver intégrée dans cet univers-là. C’est vraiment cool. Au sein du cinéma hollywoodien les gens partagent tous les mêmes valeurs. Ici en France c’est beaucoup plus disparate, effréné. Aux Etats-Unis les films sont faits pour divertir et rapporter de l’argent. Les films d’auteur, le cinéma comme art n’occupent qu’une toute petite place dans l’industrie. Les cinéastes que j’aime beaucoup aux États-Unis sont finalement assez proches d’une certaine conception du cinéma propre aux auteurs européens et français. En France les motivations pour faire un film ne sont pas les mêmes qu’à Hollywood. Il y a la volonté de prendre des risques, à la différence du cinéma commercial américain qui cherche avant tout à reproduire des formules à succès. ■ Propos recueillis par Olivier Père, mai 2016

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Heroine (Character / Fiction)
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